Place de la Mairie
Nous sommes en été mais je frissonne en ce mois de juin pluvieux
Je suis fatiguée, anxieuse, mon fils est un petit peu fiévreux.
J’attends des nouvelles de mon amour, il est reparti dans son pays
Il m’avait promis de me donner au plus vite, signe de vie.
J’entends des pas dans le jardin, j’entends des cris, c’est ma mère
Elle supplie, elle gémit, j’ai envie de renter sous terre
Et voilà que la porte s’ouvre avec fracas, deux hommes devant moi
Me traînent par les cheveux, par les bras, je ne comprends pas.
Dehors je vois d’autres femmes qui pleurent, je les reconnais
Certaines d’entre elles sont mes amies, nous avons le même secret
Les gens dans la rue nous insultent même mes voisins
Qu’avons-nous fait de mal, je ne comprends plus rien.
On nous met en file indienne, on déchire nos vêtements
On nous jette des épluchures, on nous lie les mains devant
Au loin derrière moi, j’entends les pleurs de maman
Qui tient contre son cœur bien au chaud, mon enfant.
Suis-je une criminelle, quel mal va t’on nous faire subir
J’ai peur, je ne vois que du noir pour mon avenir
On nous fait courir sur les pavés glissants
Je trébuche, on me relève brutalement, j’ai les genoux en sang.
Les mots que j’entends sont des immondices d’injures
On me traite de putain, de traînée, de femme impure
Ils ont des fusils, ils rient, ils nous traitent comme des poupées
Des jouets entre les mains d’enfants sans pitié.
On nous met en rang, place de la mairie
Je grelotte, sur mes cheveux, tombe la pluie
Entre mes paupières humides, j’aperçois un homme en noir
Un rictus au bord des lèvres et la haine dans le regard.
Et voilà que l’on emmène jusqu’à lui la première femme
Même sous le bruit qui nous entoure, j’entends ses larmes
Elle a mon age, elle a vingt ans, le ventre rebondi
Prête à donner la vie.
Je ferme les yeux, je préfère ne rien voir, on se croirait dans une arène
Et sur les unes et sur les autres la foule en délire se déchaîne
Mon tour va arriver, je vais être présentée à mon bourreau,
La chair de poule vient envahir le moindre grain de ma peau.
Mère, s’il te plait va t’en, ne laisse pas mon fils voir sa maman
Que l’on humilie, que l’on salit, que l’on tond sauvagement
Je sens l’appareil qui glisse sur mon crâne décharné
Mes boucles blondes gisent à présent à mes pieds.
Il me parle mais je ne comprends pas, pourtant je le connais si bien
Le boulanger du coin qui m’offrait des bonbons chaque matin
En revenant de l’école quand j’allais chercher le pain blanc
Avant la guerre, comme c’est loin maintenant.
Alors je laisse mes pensées m’envahir, je revois le visage
De cet homme tendre et aimant qui m’a promis le mariage
Il reviendra nous chercher mais est ce un crime vraiment
D’avoir ouvert mon cœur à l’ennemi, un allemand ?