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NOS 4 SAISONS

#1
Comme deux arbres se voisinant depuis un demi-siècle, nous avions grandi séparément de part et d’autre d’un mur que la vie avait érigé.
Un jour le mur de pierre a disparu et nous nous sommes vus pour la première fois.

Nous étions à notre premier printemps….
La sève nouvelle coulait dans nos veines, nous naissions à l’amour.
Rire, larmes étaient le vent qui soufflait à nos oreilles.
Redevenus enfants dans notre âme, nous marchions main dans la main, sautillant comme de jeunes lapins.
Les couleurs devenaient plus vibrantes qu’à l’habitude, les sons étaient plus clairs et leurs sonorités plus cristallines.
Nos branches sur lesquelles notre nouveau feuillage s’épanouissait, pour la première fois s’entrelaçaient.
Nous étions devenus fusion et passion

Et l’été est arrivé…
Notre feuillage verdoyant et touffu faisait ignoré de la vue nos troncs individuels.
Nous ne faisions qu’un et nul n’aurait su dire de quelles racines venaient cette branche ou cette autre.
Notre amour paisible et harmonieux, gardait la certitude d’un demi-siècle à venir.
L’air enveloppante embaumait des effluves du foin chauffé au soleil.
Toutes les cellules de nos corps respiraient à l’unisson.
Côte à côte, nous étions sans se douter que l’automne était à notre porte et que son vent énergique viendrait isoler nos troncs l’un de l’autre.

À notre premier automne…
Le vent souffla très fort et nos branches si profondément confondues libérèrent une à une nos feuilles.
Dénudés de nos atouts, chacun de nous s’est retrouvé isolé sans contact l’un avec l’autre.
Malgré tout, nos racines dans la tourmente des tornades d’automne nous tenaient bien attaché à notre terre d’amour.
Ces racines que nous croyions fortes et solides cachaient pourtant leurs faiblesses.
Certaines étaient malades et d’autres n’avaient pas terminé leur pleine croissance.
Sur le sol à nos pied, notre terre d’amour devenait bouleversée et nous criait fort de la nettoyer pour être prêt au prochain printemps.
Ignorant son appel, frissonnant, malade et figé dans la souffrance, nos deux arbres se sont mutés dans le silence.

Puis l’hiver est arrivé…
Cette année là l’hiver a été long et dur.
Le vent glacial se lovait continuellement autour de nos troncs impuissant à se défendre.
Nos branches à nues, notre écorce irritée et battue par les vents violents, nous avons atteint la rigidité du glacier. Notre sève migrée à nos pieds continuait pourtant de circuler tout doucement.
Elle circulait si discrètement, que son murmure imperceptible est devenu inaudible. Ni notre tronc, ni nos branches ne pouvaient percevoir le message d’amour et de tendresse qui en définissait sa nature.
Par une nuit de bourrasque aveugle de l’hiver en son milieu à peine entamé, sous le verglas l’arbre à mes côtés a cassé.
Impuissante à le retenir de mes branches, j’ai regardé son tronc magnifique en plein milieu se détacher de mon ombre et s’effondrer sur une terre voisine.

Il ne reste à mes côtés qu’une moitié de tronc mutilé. Ses racines sont en terres à mes côtés mais nos branches et nos feuilles plus jamais ne pourront se conjuguer.

L’hiver a duré longtemps cette année-là mais a fini par se tassé. Lorsque la neige fut suffisamment fondue, j’ai regardé le sol a mes pieds complètement désolé(e) et j’ai entrepris de le nettoyer.
À coups de larmes, de colères, de dénie, j’ai gratté, raclé, et retourné chaque pouce carré de la terre à mes pieds jusqu’à ce que toutes mes racines à nues se soient dévoilées.


Et fidèle au cycle de la vie le printemps s’est amorcé…

Bien avant de recouvrir le sol, j’ai honnêtement avec la vie examiné chaque racine qui depuis ma naissance s’était formée et avait donné la solidité de l’arbre que je suis devenue.
J’ai vu celles qu’il y a quelques années j’avais dû amputer. Pratiquement guéries, elles étaient redevenues belles, lisses, harmonieuses et solides.
Tout en dessous de mes racines saines, s’en cachait une immense. À voir son développement, elle avait bien près d’un demi-siècle de vie.
Énorme, toute nouée, complètement malade, la sève ne pouvait plus y circuler. Elle me confia alors son pénible secret.
Elle m’avait fait croire toutes ces années qu’elle pouvait sauver le monde mais qu’en réalité, le monde était déjà sauvé.
Elle me confia que depuis toujours mes actions et mes paroles portaient en leur cœur un message faux dont elle était responsable. Elle me montra alors la branche de mon intolérance et m’expliqua qu’enfant, j’avais eu à la développer pour survivre dans ma famille. Sournoisement cette intolérance s’est par la suite ingérée dans tous les domaines de ma vie.
Aujourd’hui que je la vois, je n’en ai plus besoin, elle fait souffrir mon arbre et m’isole de mes compagnons.
Je n’en voulu pas à ma racine ni à la branche qu’elle fit naître. Elles m’avaient bien aidé à une époque à garder l’équilibre mais elles-mêmes se nourrissaient de la perception erronée que donne la codépendance.
Lorsqu’elle me demanda de les couper, c’est en leur pardonnant que je les ai libérées.
Je recouvre délicatement de terre les racines à mes pieds. Mon processus de guérison a débuté. Je sais que ma racine guérira complètement et comme les autres élaguées, à leur ressemblance elle deviendra.

Le soleil à l’horizon s’est levé…
Je sens en mon tronc la sève remonter. Dans mes branches j’entends bien clairement le message d’amour et de tendresse pour mon compagnon.
De ma cime je ne peux plus voir le sol à ses pieds et ne sais si son terrain il a nettoyé.
Tournée vers l’univers, en silence je lance le désir sincère de le retrouver.
Je l’imagine en une tige explosée du pied de son tronc qui demeure à mes côtés. Flamboyante et robuste, elle pousse vers moi et son feuillage à peine éclos touche ma plus basse branche. Ensemble, nous découvrons un deuxième printemps. Nos arbres ont réussi à traverser ces quatre premières saisons de l’amour et plus fort que jamais, nous sommes prêts à affronter ensemble toutes les tempêtes.


Pourtant le vent souffle à mon oreille une toute autre réalité.
Loin de moi mon compagnon s’en est allé.
Dans un autre jardin, une graine il a semé.
Et l’éternité d’un premier printemps, il continue d’espérer.


Un jour peut-être, mon arbre vivra côte à côte avec un autre compagnon. Et si cela est, je prie de tout mon cœur que nous soyons capable de préparer notre terrain à chaque automne pour qu’à chaque hiver passé, de nombreux printemps de plus en plus glorieux émergent de notre union.

Pour aujourd’hui par contre rien de cela me fait envie.
Je me berce tendrement au gré du vent.
À la puissance de l’univers, j’ai confié ma vie.