Ce jour, ma page d'écriture
Concerne un fol individu
"Le plus connu des gens obscurs"
"Le plus obscur des gens connus"
J'ai dit "fol", car presque funeste
Cet athée, joyeux libertin
Vante meurtre, viol et inceste
Sous les traits d'un vrai écrivain
Le deux juin mil sept cent quarante
Donatien sans faire de bruit
Avec une jouissance lente
Ouvre ses deux yeux à la vie
Il passe sa première enfance
Auprès de Bourbon Louis Joseph
Enfant d'un maréchal de France
Son cousin par Pépin le Bref
À dix ans, il est au collège
Louis Le Grand séant à Paris
Et noble, il a le privilège
D'étudier le théâtre aussi
À quinze ans, il devient cornette
Dans un corps de chevau-légers
Puis à seize, ou bien à dix-sept
Il est aspirant-officier
Il devient bientôt capitaine
Cavalier de grande valeur
Et dans ses relations mondaines
Il serait plutôt cavaleur
Il fait tellement de conquêtes
Dépense tellement d'argent
Qu'un jour, pour éponger ses dettes
On doit le marier urgemment
Vite, il reprend ses turlutaines
Avec d'anciennes relations
Recommençant ses jeux obscènes
Dans une petite maison
Son épouse qui est enceinte
Folle de rage et de dégoût
Contre son mari porte plainte
Et le fait envoyer au trou
Après une année sabbatique
Au fond de sa sombre prison
Il recommence ses pratiques
Parfois même avec des garçons
Il engrosse, puis dédommage
Ses amourettes inconnues
Des outrances et des outrages
Avec de l'argent qu'il n'a plus
Car son père qui vient de mourir
Laisse une dette colossale
Ce qui va de nouveau conduire
Son fils unique au tribunal
Donatien retourne en cellule
Pour deux ou trois longues années
Et nonobstant sa particule
Il est limogé de l'armée
En mil sept cent soixante-douze
Enfin libre, il quitte Paris
Et s'installe avec son épouse
Dans son château dans le Midi
Là-bas il s'adonne au théâtre
Il écrit, produit, fait l'acteur
Et sur la scène près de l'âtre
Il flirte avec sa belle-sœur
Sa pauvre femme ne proteste
Ce n'est pas par manque d'envie
Mais elle aime tant cette peste
Qu'elle est prête à gâcher sa vie
Le "Divin marquis" persévère
Et poursuit ses viles passions
Avec des donzelles légères
Qu'il excite avec des potions
Jusqu'à ce qu'une soit malade
Et s'épanche auprès du bailli
Aussitôt c'est la débandade
Donatien fuit en Italie
Accusé par Louis le Quinzième
De crime d'empoisonnement
De sodomie et de blasphème
On le juge immédiatement
La justice à mort, le condamne
Par contumace, j'imagine
Tandis que notre nymphomane
Drague de belles transalpines
Hélas, le tombeur se fait prendre
Et se fait jeter en prison
Sa femme accourt et, sans attendre
Organise son évasion
Le couple s'enfuit en Espagne
Et, dès que tombe la tension
La France, en cachette, regagne
Son château dans le Luberon
Mais notre homme est incorrigible
Il a tant le feu au derrière
Que cette fois-ci, c'est horrible
Il mutile ses partenaires
La police enfin le rattrape
Et le met aux fers, à Paris
La peine de mort qui le frappe
Est commuée en prison à vie
Pendant ces années d'infortune
Il occupe son temps à lire
Et l'observation de la lune
Lui attriste ses souvenirs
En quatre-vingt-un, son épouse
Lui rend visite tendrement
Donatien d'une rage jalouse
Se fait tout à coup menaçant
Il en fait son souffre-douleur
Et se met à frapper les gens
Si bien que la marquise en pleurs
Va se retirer au couvent
On l'expédie à la Bastille
Et là, pris d'hallucinations
Sur la muraille, il voit des filles
Dans d'érotiques positions
Il en écrit deux ou trois livres
Que les gens s'arrachent sous cape
Ce qui lui permet de survivre
À la stupéfaction du Pape
Puis il crie et tant s'égosille
Qu'on le transfère chez les fous
Douze jours après, la Bastille
N'est plus qu'un gros tas de cailloux
En mil sept cent quatre-vingt-dix
Sur un ordre de la Nation
Entouré de ses deux grands fils
Enfin il quitte Charenton
Il vient d'avoir la cinquantaine
Et maintenant souffre d'arthrite
S'il a pris un peu de bedaine
Il est surtout beaucoup presbyte
Il veut renouer avec sa femme
Mais cette dernière excédée
De sa conduite trop infâme
Par la justice est divorcée
Alors il se met en ménage
Avec une nommée Charlotte
Mais le vieux marquis reste sage
Devant sa jeune sans-culotte
Bien que la vie lui semble fade
Il adhère à la Convention
Se faisant appeler Louis Sade
Pour devenir chef de section
Mais l'aventure se termine
Quand Robespierre se radine
Car promis à la guillotine
Notre vieux marquis se débine
Quand Robespierre perd la tête
Quand la Terreur change de camp
Donatien sort de sa cachette
Pour éditer dix-huit romans
D'abord huit volumes d'"Aline"
Et puis huit volumes de plus
Nommés "La Nouvelle Justine
Ou les Malheurs de la Vertu"
Le "Divin marquis", sous l'Empire
Croit pouvoir vivre de son art
Mais avec l'Empereur, c'est pire
Il déteste cet égrillard
Donatien, une fois encore
Se retrouve entre quatre murs
Il hurle de rage, si fort
Qu'on le sent pour l'asile mûr
Aussi en juin mil huit cent-quatre
Il réintègre Charenton
Où il va mourir acariâtre
Sept ans avant Napoléon
Concerne un fol individu
"Le plus connu des gens obscurs"
"Le plus obscur des gens connus"
J'ai dit "fol", car presque funeste
Cet athée, joyeux libertin
Vante meurtre, viol et inceste
Sous les traits d'un vrai écrivain
Le deux juin mil sept cent quarante
Donatien sans faire de bruit
Avec une jouissance lente
Ouvre ses deux yeux à la vie
Il passe sa première enfance
Auprès de Bourbon Louis Joseph
Enfant d'un maréchal de France
Son cousin par Pépin le Bref
À dix ans, il est au collège
Louis Le Grand séant à Paris
Et noble, il a le privilège
D'étudier le théâtre aussi
À quinze ans, il devient cornette
Dans un corps de chevau-légers
Puis à seize, ou bien à dix-sept
Il est aspirant-officier
Il devient bientôt capitaine
Cavalier de grande valeur
Et dans ses relations mondaines
Il serait plutôt cavaleur
Il fait tellement de conquêtes
Dépense tellement d'argent
Qu'un jour, pour éponger ses dettes
On doit le marier urgemment
Vite, il reprend ses turlutaines
Avec d'anciennes relations
Recommençant ses jeux obscènes
Dans une petite maison
Son épouse qui est enceinte
Folle de rage et de dégoût
Contre son mari porte plainte
Et le fait envoyer au trou
Après une année sabbatique
Au fond de sa sombre prison
Il recommence ses pratiques
Parfois même avec des garçons
Il engrosse, puis dédommage
Ses amourettes inconnues
Des outrances et des outrages
Avec de l'argent qu'il n'a plus
Car son père qui vient de mourir
Laisse une dette colossale
Ce qui va de nouveau conduire
Son fils unique au tribunal
Donatien retourne en cellule
Pour deux ou trois longues années
Et nonobstant sa particule
Il est limogé de l'armée
En mil sept cent soixante-douze
Enfin libre, il quitte Paris
Et s'installe avec son épouse
Dans son château dans le Midi
Là-bas il s'adonne au théâtre
Il écrit, produit, fait l'acteur
Et sur la scène près de l'âtre
Il flirte avec sa belle-sœur
Sa pauvre femme ne proteste
Ce n'est pas par manque d'envie
Mais elle aime tant cette peste
Qu'elle est prête à gâcher sa vie
Le "Divin marquis" persévère
Et poursuit ses viles passions
Avec des donzelles légères
Qu'il excite avec des potions
Jusqu'à ce qu'une soit malade
Et s'épanche auprès du bailli
Aussitôt c'est la débandade
Donatien fuit en Italie
Accusé par Louis le Quinzième
De crime d'empoisonnement
De sodomie et de blasphème
On le juge immédiatement
La justice à mort, le condamne
Par contumace, j'imagine
Tandis que notre nymphomane
Drague de belles transalpines
Hélas, le tombeur se fait prendre
Et se fait jeter en prison
Sa femme accourt et, sans attendre
Organise son évasion
Le couple s'enfuit en Espagne
Et, dès que tombe la tension
La France, en cachette, regagne
Son château dans le Luberon
Mais notre homme est incorrigible
Il a tant le feu au derrière
Que cette fois-ci, c'est horrible
Il mutile ses partenaires
La police enfin le rattrape
Et le met aux fers, à Paris
La peine de mort qui le frappe
Est commuée en prison à vie
Pendant ces années d'infortune
Il occupe son temps à lire
Et l'observation de la lune
Lui attriste ses souvenirs
En quatre-vingt-un, son épouse
Lui rend visite tendrement
Donatien d'une rage jalouse
Se fait tout à coup menaçant
Il en fait son souffre-douleur
Et se met à frapper les gens
Si bien que la marquise en pleurs
Va se retirer au couvent
On l'expédie à la Bastille
Et là, pris d'hallucinations
Sur la muraille, il voit des filles
Dans d'érotiques positions
Il en écrit deux ou trois livres
Que les gens s'arrachent sous cape
Ce qui lui permet de survivre
À la stupéfaction du Pape
Puis il crie et tant s'égosille
Qu'on le transfère chez les fous
Douze jours après, la Bastille
N'est plus qu'un gros tas de cailloux
En mil sept cent quatre-vingt-dix
Sur un ordre de la Nation
Entouré de ses deux grands fils
Enfin il quitte Charenton
Il vient d'avoir la cinquantaine
Et maintenant souffre d'arthrite
S'il a pris un peu de bedaine
Il est surtout beaucoup presbyte
Il veut renouer avec sa femme
Mais cette dernière excédée
De sa conduite trop infâme
Par la justice est divorcée
Alors il se met en ménage
Avec une nommée Charlotte
Mais le vieux marquis reste sage
Devant sa jeune sans-culotte
Bien que la vie lui semble fade
Il adhère à la Convention
Se faisant appeler Louis Sade
Pour devenir chef de section
Mais l'aventure se termine
Quand Robespierre se radine
Car promis à la guillotine
Notre vieux marquis se débine
Quand Robespierre perd la tête
Quand la Terreur change de camp
Donatien sort de sa cachette
Pour éditer dix-huit romans
D'abord huit volumes d'"Aline"
Et puis huit volumes de plus
Nommés "La Nouvelle Justine
Ou les Malheurs de la Vertu"
Le "Divin marquis", sous l'Empire
Croit pouvoir vivre de son art
Mais avec l'Empereur, c'est pire
Il déteste cet égrillard
Donatien, une fois encore
Se retrouve entre quatre murs
Il hurle de rage, si fort
Qu'on le sent pour l'asile mûr
Aussi en juin mil huit cent-quatre
Il réintègre Charenton
Où il va mourir acariâtre
Sept ans avant Napoléon