La Mangeuse de fées
Au coeur d'Alenwen existe une trouée..C'est un ancien nid d'écureuil dont les fées ont fait leur sanctuaire, lieu de repos où la magie du Sourcier apaise et guérit.
Sur les murs qui s'élèvent en clef de voûte, très haut au-dessus d'elle, Faèle contemple des peintures éclairées par des milliers de vasques où luit la poussière de larme.
Elle est seule dans le temple. Elle entend dans le lointain les bruits de la fête et son coeur se serre.
Devant elle, s'étale la carte des royaumes féeriques de Rune-Rael. Au centre trône l'arbre père, plus majestueux que tous ces enfants.Ils sont quatre vingt dix neuf et c'est à elle de trouver le centième royaume...
La petite fée caresse du bout des doigts les noms ciselés par le couteau du sculpteur, les branches qui s'évasent, les routes qui les relient entre eux...Combien de fois l'a-t-elle contemplée cette fresque d'un autre âge? Elle est gravée là en son être et si elle ferme les yeux, elle continue de la voir dans le moindre détail.
Elle se retourne au bruit de pas qui résonne soudain à son oreille.
Il est là.
Il l'a trouvée et l'observe avec ce regard qui semble égaré dans un autre monde. Ses cheveux blancs cascadent sur ses épaules et se confondent, en se mêlant, au poil de sa barbe. Il est maigre, vêtu d'une robe de feuille et, dans son dos, ses ailes aux nervures d'or paraissent prêtes à s'effacer dans l'air.
-Bienvenue à toi, Impardarel, je t'attendais...
-Ils m'attendent toujours, repond le vieux sage en esquissant un sourire étrange. Je suis comme toi, petite fée des Voies...j'ai mon rôle à jouer...Je suis celui qui donne par trois fois, je suis le maître des secondes chances. As-tu envie de mon aide?
-Bien sûr, seigneur, acquiesce Faèle, le coeur battant...Qu'as-tu pour moi ? Quels dons m'accordes-tu ?
L'ancien fouille dans les feuilles de son vêtement et tend sa main où brillent trois objets que la petite fée détaille avec stupeur.
Là au creux de la paume sans âge, elle découvre de minuscules ciseaux de couturière, une fiole contenant un liquide sombre et pour finir un sachet de grains de rêves...
-j'ai vu tout cela mais je ne peux te dire comment tu devras utiliser mes présents, tu le sais. N'oublie pas que tu ne pourras en faire usage qu'une fois alors ne te trompe pas, surtout, choisis le bon moment.
Faèle s'empare de la fiole et la scrute à la lueur des vasques.
-Qu'est-ce seigneur?
-De l'essence de Marivare..Je ne te conseille pas de l'ouvrir avant le bon moment...Il n'existe pas de pire odeur au monde...Et c'est terriblement persistant...
Faèle ne sait plus quoi penser. Elle a espéré recevoir une aide plus tangible que ces choses qui ne semblent avoir aucune utilité. A quoi pourront bien lui servir, les ciseaux...Elle n'a guère le temps, ni l'intention de faire des travaux de couture pendant son voyage. Les grains de rêves ne lui seront pas très précieux, non plus, car malgré ses soucis,elle ne sera sans doute pas sujette aux insomnie. Enfin de l'essence de Marivare...
Elle a un instant l'envie de rendre ses cadeaux empoisonnés à l'Impardarel mais se retient en voyant son air.
-Doutes-tu de moi?
-Heu, non seigneur.Mais tout cela est si étrange.
-C'est toujours étrange, mon enfant et puis ensuite tout finit par s'éclairer...Bon voyage,Faèle.
Il s'en retourne quand n'y tenant plus, elle court après lui et l'arrête.
-S'il vous plait seigneur, j'aimerais savoir une chose...
Il se tait, la dévisage puis lève les yeux au ciel.
-D'accord enfant... J'ai donné à ta mère les mêmes présents que tu tiens en ta main...exactement...Mais il me semble qu'elle n'a pas su s'en servir...Ne fais pas la même erreur...
Effarée, la petite fée le laisse partir sans rien dire...
Elle contemple une dernière fois les ciseaux, la fiole et le sachet de grains de rêve puis en soupirant les enfourne dans son sac à ventre.
Dans celui ci se trouvent ses provisions de route, une couverture de lichen, la carte des Voies et sa boussole en Ystréau qui sait traduire le chant des vents et celui des animaux. Il ne lui manque donc plus rien.
Il est temps de partir.
Elle passe les bandoulières de son sac, prend son bâton dans sa main et quitte le sanctuaire pour rejoindre les passerelles d'envol.
Elle traverse la cité endormie,dominée par le palais flamboyant, comme une ombre silencieuse.Elle se décide à ne lui accorder aucun regard. A mesure qu'elle approche des derniers nids, elle sent monter l'appréhension. Tant de dangers l'attendent et tant d'enjeux pèsent sur ses frèles épaules...
Enfin la première arche est en vue.
Ses pas claquent sur le bois avant qu'elle ne s'arrête pour contempler le vide devant elle.
Alors elle sort son compas en ouvre le couvercle et découvre la flèche qui tournoie au rythme de son souffle. Elle le soulève dans le vent et entame le Chant des Voies.
La boussole s'illumine et la flèche finit par s'arrêter, lui indiquant l'aval de la rivière sacrée. C'est ainsi qu'est tracée la première de ses routes.
Il lui faut suivre les méandres de la Moonradyr
Faèle range la petite boite d'Ystréau et inspirant un grand coup, se faisant violence pour ne pas regarder en arrière, elle déploit ses ailes et s'envole dans la nuit noire quittant son doux foyer d'Alenwen...
Personne ne remarque son départ
Sauf le roi Elenlassyl, qui sur le grand balcon, la suit des yeux, entouré de poussière de larmes.
Puis elle disparait et il s'en retourne dans son palais pour assister aux dernières heures de la fête.
Mais son coeur n'est pas avec lui. Il est parti en voyage au coeur de Rune-Rael et survole, avec une petite fée, le serpent argenté de la rivière sacrée, vers les limites de son royaume.
